_usure

_usure _ force de travail passive

 

J’ai un souvenir clair d’une partie de la carrosserie d’un tracteur de mon père qui, se situant au niveau de la portière, était soumise à un frottement avec la jambe à chaque entrée dans le véhicule.

Au fil des années, sur cette zone anguleuse, les différentes strates de peintures de protection de la carrosserie ont subi une usure particulière.

Des zones concentriques apparaissent, la peinture extérieure, les éventuelles peintures antérieures, les couches d’apprêt, le métal nu.

Il y a quelque chose, dans cette fatigue du matériau, d'une autre echelle temporel.

L'avancée de cette érosion est difficile à percevoir, nous échappe.

 

L’usage et l’usure fonctionnent dans une relation de cause à effet.

 

L’usage commande l’usure.

 

D’une usure imposante, peut d’écouler une perturbation de l’usage.

 

User de quelque chose signifie aussi en faire usage.

 

L’usure et l’usage sont les deux côtés d’une même pièce.

 

Une pièce de monnaie, en passant de main en main, de portefeuilles en tiroirs-caisses, elle s’use.

De manière indicible, de fines particules se détachent sur nos doigts.

L’usure est aussi un terme financier qui définit un taux d’intérêt excessif.

La pièce de monnaie comporte en elle les deux sens de l’usure ; dégradation physique et fluctuation de la valeur des devises

 

L’usure est un processus qui implique le frottement.

 

«Elle implique le contact entre les surfaces de deux objets qui, en se déplaçant l’un par rapport à l’autre, créent une force ayant pour effet d’altérer les surfaces. L’usure est donc associée à la perception la plus ordinaire de notre environnement et même de notre corps : il est probable que nous avons commencé par ressentir physiquement ce phénomène, avant même de l’observer et de l’analyser, en nous frottant les mains, les doigts ou quelque autre partie du corps, pour les réchauffer, les soulager ou même sans intentions particulières. Cette épreuve en corps propre, dans la réversibilité du touchant touché, fait du frottement et de l’usure qu’il entraîne, une expérience primordiale où se loge le rapport du corps à lui-même et au monde.» 

       Sabine Forero Mendoza, Pour une esthétique de l'usure, L'usure, Presses Universitaires de Bordeaux Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles, 2016

 

 

Il est intéressant de regarder les mouvements de matière que produit l’usure sous l’angle de la tribologie (science des frottements) ses domaines d’applications vont de l’étude des forces des plaques tectoniques entre elles, jusqu’aux technologies de freinage.

On peut tout à fait l’appliquer à des situations aussi banales que la vitesse d’usure d’une semelle de chaussure ou à la lente déformation de marches d’un escalier à force d’être emprunté.

Je dois avouer une certaine fascination pour ces phénomènes, mais ce n’est pas le romantisme de la patine ou une nostalgie des objets anciens qui m’importe. Je pense davantage au concept japonais de wabi-sabi qui consiste à porter une attention sur les choses imparfaites, modeste, portant la trace du passage du temps ou des hommes.

  

Prendre acte de l’usure comme affectant toute chose, c’est aussi ne pas croire à la croissance infinie.

Notre civilisation est économiquement usée, fatiguée par ces propres logiques.

L’effondrement du modèle paraît inévitable si l’on en croit la plupart des scientifiques.

 

Le ponçage m’intéresse en relation à cette question de l’usure.

Il est une usure contrôlée, choisit.

Des pierres polies à la carrosserie automobile, nous n’avons cessé de poncer, d’apprivoiser l’usure.

 

Dans le quotidien, poncer son environnement des yeux, c’est s’user contre celui-ci pour en saisir les subtilités, les mouvements de l’infime, de l’inframince.